« Tu devrais prendre soin de toi »

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Cette phrase, je l’ai entendue à la nausée ces deux derniers mois. Mais je comprends.

Peut-être parce qu’on ne sait pas trop quoi dire à une femme qui sort de dépression et qui se tape deux ruptures. On ne sait pas trop quoi dire à une meuf aux yeux rougis, qui gobe du valium pour arrêter de ressentir. J’ai l’air d’être passée dans une grosse essoreuse. Le manipulateur a pris toutes les gouttes et toute l’histoire, ainsi que les détails, sont une humiliation. J’ai vécu des mois et des mois d’humiliation, quasi quotidienne, soit en utilisant le mensonge, soit le chaud et le froid. Et je ne m’étais pas rendu compte, mais c’est en relisant toutes nos conversations, que j’ai découvert du bon vieux passif agressif, où il expliquait que c’était moi qui étais agressive et où je devais m’excuser. Quel bon vieux temps.

Un détail croustillant ? Le déclic qui m’a fait partir ? Je lui ai souhaité « Bon deux ans ». Il ne m’a jamais répondu. Sauf « comment ça va ? ». Aucun réponse. Deux jours après il était chez l’autre femme. Aucune nouvelle. J’ai mis un mois à me dire que je pouvais le faire, que je pouvais le quitter, que je n’allais pas mourir. Et après il m’a baladé un mois pour que nous actions la rupture. Alors qu’il a vu l’autre femme deux fois ce mois là. Un brillant personnage dans le soin des femmes.

Alors oui, j’ai un peu de mal quand on me dit de prendre soin de moi.

Déjà, car en le quittant, j’ai pris soin de moi comme jamais. Parce que j’avais affronté la réalité : je sortais avec un type qui était incapable de m’aimer et non, mon amour et ma patience n’allaient pas le changer. Et c’était un égoïste.

Mais j’ai pris soin de moi le jour où j’ai su qu’on était deux. Parce que j’ai enfin eu la validation de mon vécu : je n’étais pas seule à constater que c’était une raclure de bidet. Je n’étais pas folle. J’avais bien senti une autre femme. (Oui, parce que figurez vous que je sens beaucoup de choses chez les gens car je suis en hyper-vigilance permanente, ce qui m’énerve encore plus de mettre fait avoir.)

J’ai été soulagée de savoir qu’on était deux. Même si on était deux victimes. Mais ça m’a réconforté. J’ai pris soin de moi en parlant avec elle. J’ai pris soin de moi en réfléchissant avec elle. J’ai pris soin de moi en validant chaque étape de la mise en place d’une justice avec elle. Je n’étais pas seule. Ce n’était pas mes meilleures amies, qui sont très efficaces mais qui n’ont pas vécu ce calvaire. C’était une femme comme moi. Une femme qui avait fait des cadeaux, comme moi, ses cadeaux que j’ai vu chez lui et sur lui, mes cadeaux qu’elle a vu chez lui et sur lui, des symboles qu’il ne voit pas mais qui sont partout sur son compte Instagram. Une femme qui a fait l’amour avec lui, comme moi, et qui connait ses petits secrets. Une femme, qui s’est confié jusqu’au bout, comme moi, pour qu’il se sente sauveur. Une femme qui l’a regardé, aimé, senti, comme moi. Éblouies par cet homme qui donnait peu mais à qui on donnait beaucoup. (Il va dire qu’il m’a payé des voyages contrairement à l’autre femme : t’aurais dû le faire aussi si tu étais un peu cohérent.)

J’ai pris soin de moi comme ça. En confiant mes peines. En allant chercher la justice. Et je n’ai toujours pas compris cette phrase. On me dit « olalala mais coupe la communication et bloque le. » Comment je fais pour la justice après ? Après avoir envoyé convulsivement des messages pour qu’il réagisse aux dégâts que je vivais, j’ai arrêté. Parce que ça n’en vaut pas la peine. Je ne le bloque pas pour savoir où en est la justice. Je ne lui parle plus. Il ne me manque pas. Il me dégoûte. Tu me dégoûtes.

Mais une fois que la période dense est passée, c’est quoi prendre soin de soi ? Je crois qu’on ne m’a jamais appris. On ne m’a jamais dit : « quand tu traverses un tsunami, tu dois prendre soin de toi en… »

Moi, j’imagine des masques, des coupes de cheveux, du sport. Mais là, je n’ai pas envie de ça. Mon égo a été broyé par cet immense connard. J’ai la deuxième rupture à digérer mais c’est plus facile. C’est une rupture lambda. Une rupture sympa. Une rupture où on ne sait pas trop vers quoi on va, où les gestes sont tendres et parfois un peu plus… Ce ne sont pas deux ruptures qui viennent briser mon égo et ma confiance en moi. Il n’y en a qu’une seule. Celle qui était la plus sale. Il n’a pas détruit ma psyché, mais il a détruit une grande partie de celle que je suis.

Comment faire pour réparer à part l’exigence de la justice ? Comment on répare de si grands dégâts à part avec le temps ? Comment vais-je continuer à faire confiance ? Actuellement, je suis en post-trauma, et tout me semble agression. J’ai envie que les mecs souffrent. J’ai envie qu’ils subissent les pires souffrances qui existent. Je ne pense qu’à ça quand un inconnu m’aborde dans un bar. Comment celui-ci va souffrir avant que je ne souffre moi-même. Mais est-ce bien raisonnable de dire que pour prendre soin de moi, j’ai envie de voir des inconnus demander pitié ?

Alors je trouve des subterfuges. Je bois des bières, je fume des clopes, je ris à gorge déployée avec des copines que je n’ai pas l’habitude de fréquenter. Parfois, je raconte l’homme au podcast, quand on me demande ce qui se passe. Mais ce sont des amies de l’autre homme. Il est plus facile de parler de l’autre rupture. J’écoute de la musique. Très fort. Et je pleure. Je lis des lettres d’amour en me disant que j’aurais été capable de lui écrire tout ça. Et que je l’avais fait un peu avec mes nombreux mails.

Et je roule des pelles sur des terrasses. J’ai tellement culpabilisé de faire ça. Je me suis dit qu’à nouveau je faisais de la merde. Parce qu’on en est là. Même rouler des pelles pour passer le temps (oui c’est un passe temps…) devient une analyse en trois parties et neuf sous-parties pour être sûre que je ne suis pas en train de me faire avoir, même pour vingt minutes, même un truc léger. Le mec a pété toute mon innocence qui était déjà bien abîmée avant de le connaître.

Je prends soin de moi à ma manière. Je n’ai pas de recette miracle. Je pleure moins. Quand je pense à lui, ça donne moins de rage. Je bois des bières, je fume des clopes, je roule des pelles j’écris et je lis. (Et ok j’envoie des textos suggestifs… mais c’est de l’écriture !!!!) Je ris surtout. Je ris de ce guignol. Je ris des hommes avec les copines. Je ris de nos vécus. Je fais des jeux de mots.

Je ne sais pas si c’est la recette que les gens imaginent quand ils me disent de prendre soin de moi. Mais moi, je n’ai plus que ça. Qu’est ce que je pourrais faire ? Qu’est ce que je pourrais faire à part ressentir la vie revenir et la joie m’accompagner ?

Se sentir vivante, pour ne pas sentir les actes mortifères de mes trois dernières années. Avancer. Sans se retourner mais en caressant mon passé comme un chien fidèle à mes pieds.

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