Des excuses aux hommes et des victimes seules.

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Je n’ai jamais rencontré une personne qui a vécu deux ruptures à la fois. Ça doit bien arriver chez les polyA, mais peut-être que je n’ai jamais vu un tel déferlement d’informations et de prises de décisions en si peu de temps.

L’une des ruptures est violente. Elle concerne l’homme au podcast. J’ouvre chaque jour un calendrier de l’avent : une révélation par jour, une merde par jour. Enfin, j’ouvrais. Ça commence à se calmer.

L’autre est soudaine. Quasi brutale. Parce que je ne supporte plus les gens qui vont au-delà de mes limites. Qui ne comprennent pas quand je dis : « je ne peux pas vivre des moments difficiles car je suis concentrée sur ma rencontre avec l’homme au podcast » (est-ce que vous avez vraiment envie de savoir ce qui a été dit pendant deux heures ?… Peut-être un jour.)

Les gens qui vont au-delà de mes limites. Qui m’obligent à prendre position. Qui veulent une conversation alors que j’ai trois pourcent de batterie. Qui me disent que c’est pas grave mais qui change notre relation. Je commence à fatiguer. Je fatigue de me raconter, de me mettre en scène, de tenir mon texte. Je fatigue de garder le masque parce que, dans ma tête, il faut être forte face à l’homme au podcast. Ce n’est pas le moment de lâcher, de se rouler dans sa couette et de s’écouter.

Alors je tiens. Je tiens, je réfléchis. On n’arrête pas de me dire « prends soin de toi ». J’ai envie de répondre : « prendre soin de moi, c’est avoir un peu de justice. » Mon psy, que j’adore, n’arrête pas de me répéter que la vie est injuste même pour les bonnes personnes. Et bien moi, pour une fois dans ma vie, je vais chercher la justice. Face à la plaie béante de mon cœur et de la bouillie de mon cerveau, je vais chercher la justice. Je sais où elle est, ce que je souhaite plus que tout pour avoir justice. Je n’ai qu’un but et le reste, je m’en balance. Je veux que ce but soit atteint pour ensuite passer à autre chose.

Je pense que beaucoup ne peuvent pas comprendre ce que ça fait de se faire avoir deux fois par un manipulateur. Je parle bien de manipulateur, non pas comme étiquette à vie, mais comme description des faits. La torsion de la réalité et le chaud/froid, c’est de la manipulation. On peut leur trouver toutes les excuses possibles à ces pauvres cocos, c’est de la manipulation. J’ai été victime deux fois d’un manipulateur. Deux fois. Et c’est un pauvre con, même si con est oppressif et blablablabla.

La parole des victimes prime sur le reste. Qu’une victime dise dans un moment de craquage « mais va te faire enculer », on ne va pas la reprendre. On va laisser passer. Parce que c’est la victime. Reprendre le vocabulaire, comme je l’ai vu pour moi, à une victime, c’est manquer de respect pour le vécu. Parce que rappelons-le : quand le manipulateur humiliait la victime, personne ne venait faire la police de l’oppression et du vocabulaire. Personne d’ailleurs ne reprenait rien puisque les victimes ont peur de ce qui peut se passer quand elles parlent.

Les hommes qui tordent la vérité ne méritent pas d’être punis à vie. Ils méritent de sortir de la sphère publique et de laisser tranquille les victimes et les potentielles victimes. Je pense sincèrement qu’un manipulateur ne peut pas s’en sortir s’il est un haut niveau de mensonges. Aucune thérapie de groupe, aucun psy, absolument rien ne peut être le déclic. L’homme au podcast m’a vue tellement mal en 2021. Il m’a vue en hôpital psy. Il m’a sentie profondément en colère. Profondément meurtrie. Il a discuté avec moi. Longtemps. Car on ne pouvait pas reprendre une relation dans ces conditions. Il a vu un psy. Il savait que la porte était ouverte pour parler, et surtout pour parler d’autres relations. Tout était ouvert. Tout. Il n’a eu aucun déclic. Et il a fait pire.

J’en ai marre et je suis fatiguée de savoir qu’on leur trouve des excuses. « Il traverse une période dure. La relation était toxique, ça vient des deux côtés », « ils sont traumatisés », « ils ne peuvent pas comprendre car on ne leur a pas expliqué » et blablabla. Toujours des excuses pour aussi se défausser d’une responsabilité collective et individuelle. On sait que le mec fait de la merde, mais il faut l’aider pour qu’il se sente mieux. Il faut continuer les projets.

Et les victimes là dedans ? C’est quoi notre justice ? Nos explications ? Nos aides ? Qui paye mon psy ? Qui essuie mes larmes ? Qui s’occupe de ma santé mentale ? Qui s’occupe de moi tout simplement ? Quel frein cela met à une carrière, à des relations ? Quelle crédibilité cela fait pétée ?

Depuis quelques années maintenant, depuis 2017 et MeToo, ça parle dans les groupes de potes. C’est ainsi qu’on a découvert deux violeurs. Il y en avait un dans chaque bande que je fréquentais. Violences physiques, sexuelles et psychologiques, toujours les mêmes questions, les mêmes processus, les mêmes excuses, les mêmes mises de côté des victimes. C’est insupportable. Toujours un an. Un an où le mec n’est pas sollicité. Dans une de mes bandes, ça faisait trois mois. Trois mois où le mec est revenu après avoir fait la tournée des potes pour expliquer à quel point il était malheureux, pendant qu’on essuyait encore les larmes de la victime.

Je ne sais pas c’est quoi cette nouvelle mode de trouver des solutions aux mecs violents alors qu’on laisse les victimes sur le bas côté. Le féminisme doit avoir abandonné. On pense que la victime est un animal qui doit panser seule ses plaies. On laisse ça aux très proches parce que c’est un peu sale de voir des larmes et des crises d’angoisse. C’est sale de voir quelqu’une parler en permanence de son bourreau, parce que chaque détail compte : un tatouage, une banane, un concert, des bracelets. Tout compte. Quand on vous a menti, tout compte. Ce ne sont pas des détails. Parce que vous essayez de récupérer votre histoire.

Si mes très proches sont présents, ils s’usent aussi. Je le vois. Ça fait un mois. La seule personne qui ne me juge pas et avec qui je peux en parler jusqu’à la nausée, c’est l’autre femme. Mais il serait important qu’on puisse expliquer tout ce qui s’est passé. Parce que l’histoire est incroyable, parce que des mensonges, parce qu’on ne peut pas tout pardonner, on ne peut que prendre des sanctions collectives. Pour l’individuel, je laisse la personne concernée prendre des décisions. On laissera les autres hommes faire leur travail, celui d’accompagner le bourreau sur un chemin individuel.

Moi, je ne vais pas monter une association qui traque les profems, Ce n’est pas à moi, victime, de mener une croisade, de gérer absolument tout. Parce que je vais le dire : je m’en fous. Le côté systémique qui explique leurs comportements, les multiplications des cas, ce n’est pas à moi de le faire. Je dois déjà m’occuper de ma propre affaire. Et quand j’aurais fini, j’irais me reposer.

Je pourrais donner des conseils, m’occuper de victime, quand je serais mieux, mais en attendant, je fatigue et j’aimerais qu’on me foute la paix sur des leçons générales.

Je n’ai jamais été aussi fière de mon courage et de ma résilience. J’ai tellement envie de dire ,: « tu m’as vue comme une petite chose fragile. » Mais j’étais déjà une Queen. J’étais déjà une femme forte, qui s’écoute et qui tient ses valeurs.

Forte mais faible, faible mais forte.

La vulnérabilité en bandoulière, mais avec un bouclier, une lance et un casque : on peut être une guerrière  avec un cœur en bouillie. 

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