Traumatismes

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J’ai du mal à dire que je viens de vivre un traumatisme. Je ne reconnais pas le mot traumatisme. Mais les soignants qui m’accompagnent sont assez formel.les : je suis en post-traumatique.

Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Parce que je me sens plutôt bien. Alors certes je bois, alors que j’avais arrêté, alors certes je fume, alors que j’avais arrêté, alors certes je roule des pelles, alors que … Ah non, ça, j’avais continué. Alors certes, je n’avais plus de conduite addictive ou de TOC ou de gestes brusques ou de TCA, mais malgré le tsunami, je ne suis pas redescendue en dépression. C’est un petit miracle je crois.

J’ai lu, ici et là, des critiques envers moi : « oui, bah en même temps, on se doute bien que ce genre de mec est toujours dans des bails chelous. Faut un peu réfléchir. » Au-delà d’un manque d’empathie profond, voire cruel, cela manque clairement d’analyse sur les mécanismes de l’emprise et sur ce que crée les comportements absolument immondes envers les femmes.

Je n’ai pas été battue. Je n’ai pas eu de coups. Je n’ai jamais eu peur physiquement. Parce que ce n’est pas le genre de l’homme au podcast. Jamais il n’y penserait.

Mais je pense que personne, à part celleux qui l’ont vécu, ne sait ce que font les violences psychologiques. Cela vient creuser en vous un long sillon, bien profond. Dedans, vous trouvez une estime de vous inexistante et donc une dévalorisation, une dépendance affective, une croyance profonde que cela va s’arranger, parce que les moments doux sont formidables. Vous êtes persuadé que cet homme, si doux quand vous vous voyez, si compréhensif, ne peut pas être le même qui vous laisse dans un désespoir total entre deux rencontres. Vous lui trouvez des excuses, vous trouvez des excuses avec vos copines, de longues théories complexes pour vous calmer et pour vous dire que vous n’êtes pas folle : il déménage, il est surmené, il fait une dépression, il lui faut du temps pour reconnaître votre couple car il est traumatisé. Et tant d’autres. Alors qu’il est simplement en train de jouer avec vous. Et même mieux : il s’en fout. De vous. On ne fait pas ça aux gens qu’on aime. Il ne vous aime pas. Il ne m’aime pas. Et ne m’a probablement jamais aimé.

Je suis sur un long chemin pour reconnaître ce qui s’est passé. J’ai eu beau lire l’ensemble de nos conversations en trois ans, en pointant les moments les plus difficiles (silence, intimidation « ça le fatigue d’avoir une conversation sérieuse » avec pour conséquence de me silencier, manque de respect, degré zéro d’empathie, silence, toujours silence, non réponse à un reproche fondé, puis mes excuses pour mettre emportée avec un « je t’excuse »), je n’arrive toujours pas à voir l’ampleur des dégâts. Et tout cela en entretenant une relation avec une autre femme. A qui il pouvait réserver le même sort.

Comment on se pardonne de ne pas être partie plus tôt ? Et même pire dans mon cas, comment on se pardonne d’y être retournée ?

J’ai beau savoir théoriquement ce qu’est l’emprise, je sais, je vois, mais je ne la comprends pas. Comment j’ai pu rester, moi ? Moi si forte, moi qui ai passé tellement d’épreuves ? Moi qui ai un caractère bien trempé et qui ne se laisse jamais faire ? Moi qui ai le bon mot, moi qui suis féministe depuis mon adolescence ? Moi, qui sais reconnaître les signes dans les couples de mes amies ?

Combien de temps je vais mettre pour me pardonner ? Comment on se soigne d’un traumatise de trois ans ? Trois ans de ma vie. Trois ans à traverser des déserts, des dépressions, des diagnostics, des hôpitaux. Trois ans de souffrance personnelle en pensant qu’il était là, qu’il serait là, que je pouvais lui faire confiance, car il savait être là pour les autres, pour des inconnues. Trois ans de ma vie amoureuse. Trois ans où mes proches m’ont vu souffrir, où mon fils m’a vu pleurer, à tel point qu’il disait directement « c’est encore l’homme au podcast ? ».

Mais au fond, comment mettre de la rationalité sur de l’irrationnel ? C’est tout simplement arrivé. C’est arrivé parce qu’il n’y a pas de victime parfaite, je ne suis pas la victime parfaite. Je lisais (oui, car je lis beaucoup sur les manipulateurs) que ces hommes étaient attirés par ce que la personne dégage. Le prestige. L’aura. Quand j’ai rencontré l’autre femme, j’ai compris. Même introvertie, elle a une aura. Quand je fais le bilan des femmes qu’il approche, elles dégagent quelque chose. Une confiance en elles. Elles ont un domaine de prédilection. L’édition. La photo. L’art. La littérature. Un truc qui les fait vibrer. Elles ont des fragilités. Mais quelle femme n’a pas de fragilités dans le monde patriarcal où on vit ?

J’essaye de comprendre. Mais c’est impossible. Je n’aurais pas mon histoire. Je ne saurais pas tout. Je ne pourrais pas tout contrôler. Je ne pourrais pas être responsable des prochaines ou des anciennes victimes. J’ai de la chance, je crois. J’ai un trait de caractère qui me sauve : je crois que les gens ont tous des bons côtés. Je ne suis pas en train de me dire que ça va m’arriver à nouveau. Je fais attention aux signes, au froid et au chaud, mais je crois dans les gens. Je n’aime pas dire que je suis résiliente. Parce que c’est toujours un peu compliqué. Je rebondis vite. Même s’il y a des jours avec et sans. Les jours « sans » sont très compliqués à gérer. Les jours « avec » sont beaux et bons. J’alterne un peu. J’ai arrêté de me torturer même si je suis souvent en colère. Et parfois parano.

Lorsque je danse, au milieu de la foule, j’aime les gens. J’aime les sentir vibrer, j’aime les voir danser, j’aime les effleurer. Je me soigne par l’énergie humaine. Certain.es ne trouvent pas ça très sain. Mais finalement, je sais que je suis comme ça. J’aime draguer, j’aime les jeux de corps. Je me soigne comme ça. Je ne fonce pas dans une relation mais je rencontre, je parle et je lance des regards. Je déprime dans mon lit. Je déprime à attendre. Je me soigne par le jeu, par des tatouages et du shopping. Quand je fais ça, je ne pense à rien. Je suis moi.

Le traumatisme, on le soigne comme on peut. Et ça va être très long pour oublier et pour me dire que le livre est clos. Peut-être six mois. Peut-être un an. Je ne vais pas attendre cette période pour me relancer dans la vie, dans le concret.

Traumatisme, oui, survivante, oui, mais toujours vivante.

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