Résidus

Written by:

Il est là, sur la plage, en train de ramasser des cailloux. Il lève la tête et me sourit. Il n’y a pas de grandes envolées lyriques. On se connait bien. Ça fait deux ans qu’on passe vents et marées. On sait qu’on est là l’un pour l’autre. Que c’est doux quand on se voit. Que c’est aussi passionné.

Deux jours avant la plage, il était avec l’autre femme. Sans me le dire. C’était ça la réalité. Du doux quand on se voit. Du dur pour que je ferme ma gueule le reste du temps.

Je ne sais pas si vous avez enclenché les souvenirs par Google. Moi si. Je la vois cette photo. Et Google me l’a sortie à la date anniversaire. Je la regarde. J’aime encore cette photo. Parce que je sais ce que j’ai ressenti à ce moment-là. L’impression d’être à ma place avec l’homme que j’aime. Plus je la regarde, plus j’ai l’impression que tous les moments de bonheur n’ont jamais existé. Une photo avec mon fils, une photo chez moi, une photo à Saint Denis, une photo chez lui. Un selfie. Deux. Puis trois. Quand il m’embrasse. Quand je ferme les yeux parce que je suis bien.

Les souvenirs Google défilent, un par un. Ça me tort le ventre. Peut être parce qu’il a tordu ma réalité. Trois ans de relation pour deux ans et demi de mensonges. C’est presque le titre d’un film français. Ça pourrait être beau si ce n’était pas pathétique. 

La colère s’est calmée. J’ai vécu. Je vis. J’ai trouvé des remèdes à mon cœur, à mon corps. Je respire fort. J’essaye de savoir où je vais, qui je suis, où sont les résidus de cette relation, de ce traumatisme. Je m’appuie sur mes proches, je fais ce qu’il me plaît. J’essaye de ne plus avoir honte de ne pas travailler. J’essaye de ne plus avoir honte de parler de cette histoire. J’essaye de ne plus avoir honte. J’essaye.

Les résidus sont là. Ils sont par paquet. Des paquets que je mets dans des valises. Des valises que j’essaye de dégager de mon entrée. J’ai peur de tout. J’ai peur des autres avant tout. J’ai peur qu’on me mente. J’ai peur qu’on me manipule. J’ai peur qu’on se serve de moi. Je le vois par l’état d’alerte dans lequel je suis quand on me dit des choses jolies. J’ai peur de déranger, de souler, d’être trop présente. Trop moi. Moi, ma grande gueule, ma facilité à parler, à dire les choses, à comprendre. Il n’y a plus rien. Je lui disais mes besoins. Ça le stressait. Je lui reprochais quelque chose. Ça le stressait. Il avait autre chose à faire. Il avait toujours autre chose à faire. Et j’étais fragile, selon lui. Très fragile. Alors on devait me cacher la réalité.

J’ai peur de moi. On ne le dit peut être pas assez parce qu’il est plus facile de mettre la faute sur les autres, quoique là je viens de passer trois ans à me blâmer, mais c’est difficile de se regarder en face. Pourquoi je ne l’ai pas quitté ? Pourquoi, alors qu’il me disait que la relation était asymétrique (tu m’étonnes hahaha), c’était à moi de le quitter ? J’étais sûrement trop fragile. Il avait peut être raison. Je n’arrive pas à me contenter de concepts, parfois vagues, que l’on calque. Emprise. Manipulation. Violence. Et si j’exagerais ? Et si je me trompais ? Et si.

Les résidus sont là, ils viennent par paquet, dans des valises trop lourdes. Je les regarde un peu sous le choc. J’essaye de voir une logique dans cette souffrance et ces mensonges. Il n’y a rien. Que des valises pleine à dégueuler. Que des valises à transporter. Aucune logique. Aucune explication. C’est tombé sur moi. Il m’a choisi pour expérimenter.

Emprise. Manipulation. Violence. Une valise pour chaque. Le besoin d’évacuer. On me donne un coup de main. On me tient la main. Je danse jusqu’à oublier. On me touche, on m’embrasse, on me fait rire. Je me recharge aux contacts des autres.

On me tient la main. Fort. On les mets sur mon corps. On prend mes valises. On attend que je sois prête pour les vomir. Je préfère les évacuer doucement. On m’attend. On me rassure. On me tient la main. Fort. On me donne du courage et de la force.

Même si on n’arrête pas de me répéter que la force, c’est moi, car je me relève à une vitesse incroyable. Je suis forte. Contrairement à ce qu’il pensait. Déjà trois mois, je dégueule encore. Mais j’ai décidé de vivre. J’ai décidé de danser, d’aimer et de profiter. J’ai décidé de me retrouver.

Il y aura toujours des résidus, des souvenirs et des photos. Il faudra simplement que j’apprenne à vivre avec. Les photos sont supprimées une à une. J’espère que ça fonctionne aussi sur la mémoire et ses résidus. J’aimerais bien oublier et me relever.

Laisser un commentaire

Latest Articles

Previous: